1er Chapitre

Paris, entre Montmartre et la Place Blanche

Une bien Belle Epoque

Insouciance, Légèreté et Joie de Vivre… Voici en trois mots ce qui pourrait le mieux caractériser cette période unique de l’Histoire de France. Un moment de répit entre deux guerres, une période de transition entre deux siècles, où les barrières sociales s’effacent, où le progrès industriel donne à tous l’espoir de vivre mieux, dans un foisonnement culturel particulièrement riche et où l’on s’amuse beaucoup.

Les bourgeois s’encanaillent, la culture populaire est mise à l’honneur dans un joyeux désordre plein de gaieté et de vitalité. Dans ce contexte propice à la création artistique, les cercles littéraires se font et se défont au fil des rencontres tandis que les peintres et les illustrateurs sont particulièrement inspirés par cette ambiance gaie, quelquefois outrancière mais pleine de fantaisie, en rupture avec la rigidité du classicisme en vigueur.

Le Japonisme*, ce courant d’inspiration orientale qui utilise les influences du style japonais dans l’art français, est à son apogée. Toulouse-Lautrec et ses célèbres estampes japonaises, en est le disciple le plus brillant. Le décor est en place pour l’apparition des premiers cabarets dont celle du Moulin Rouge en 1889.

Japonisme :
Terme utilisé pour la première fois par le critique d’art Philippe Burty en 1872 pour décrire ce nouveau courant artistique inspiré d’objets et d’art japonais présentés lors de l’Exposition Universelle de Paris de 1867.
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A l’ère du 7ème art

Côté architecture, Gustave EIFFEL, véritable génie de l’architecture du fer se lance dans son projet le plus fou : une Tour de 300 mètres de haut qu’on pourra admirer de n’importe quel endroit de Paris. Ce sera l’attraction principale de l’Exposition Universelle de 1889.

Autre événement majeur de ces années : la première séance de cinématographe. Le 28 décembre 1895, dans le salon indien du Grand Café, boulevard des Capucines à Paris, les 23 invités des Frères Lumière vont assister à un spectacle extraordinaire.

Sur un petit écran, la photographie qui vient d’être projetée s’anime soudain… Voitures, chevaux, passants se mettent en marche, toute la vie d’une rue apparaît : “A ce spectacle, nous restâmes bouche bée, frappés de stupeur” déclare le prestidigitateur Georges Mélies, qui trouvera la célébrité en réalisant plus de 500 films pleins de fantaisie et de poésie dont le remarquable “Voyage dans la lune” (1902).

Pour l’Exposition suivante, celle de 1900, c’est Hector GUIMARD qui restera dans les annales. Dans la mouvance de l’Art Nouveau, il donne un cachet inégalé aux entrées de métro parisiennes. La station Blanche sera la première à en bénéficier : arabesques ornementales et inflexions végétales y seront maniées avec une énergie et une liberté étonnantes.

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La Butte Montmartre, bastion de tous les plaisirs

Au cœur de cette effervescence, la Butte-Montmarte fait figure de lieu emblématique. En 1891, la basilique Notre-Dame du Sacré-Cœur est inaugurée en grande pompe. Chapotant la Butte Montmartre, on espère ainsi redorer le blason de cette colline bien malfamée. Mais contrairement à toute attente, la cohabitation entre ce lieu saint et ses flancs plus sulfureux donne un cachet supplémentaire à ce haut lieu de la vie parisienne. Marginaux, artistes et saltimbanques continuent à fréquenter les cabarets, Music-Hall et cafés toujours plus nombreux tandis que bourgeois, aristocrates et demi-mondaines, attirés par les plaisirs nocturnes y prendront leurs habitudes. Les cafés-concerts deviennent le symbole même de ce brassage social et culturel. Ouvriers, artistes, bourgeois et aristocrates se retrouvent à la même table dans une joyeuse atmosphère de fête et de frivolité. Parmi ces cabarets artistiques certains resteront célèbres : le Chat Noir, avec ses riches décors réalisés par Caran d’Ache, le Mirliton, les Folies-Bergère, Le Moulin Rouge… On y écoute les chansons anti-conformistes d’Aristide Bruand, chantre de la marginalité, des prostituées, des chômeurs et de tout un “petit peuple” jusqu’alors méprisé par les artistes.

Les cercles littéraires tels que Les Hydropathes fondé par le Bohémien Emile Goudeau ou Les Incohérents et leur prédilection pour la satire politique, y ont pignon sur rue. Les artistes-peintres y trouvent leur inspiration. Parmi eux, Toulouse-Lautrec, fidèle des lieux, immortalisera ces scènes baroques, colorées, à mi-chemin entre les divertissements les plus fous et le tragique de la vie du petit peuple dans des tableaux restés célèbres comme Le Chat Noir ou La Goulue.

“Les mêmes coins abritent les mêmes gens. Sous les colonnes rouges, les solives peintes, dans ce décor de palais barbare, roulent les mêmes types, danseurs et danseuses liés ventre à ventre dans la communion du rythme, mecs et graines de mecs, combinards, vendeurs de neige ou de tuyaux, marchands de viande ou de plaisir, artistes, flâneurs, michetons, lames de fond que n’absorbe pas la grande houle humaine des étrangers curieux. A cet élément mâle s’enlace l’élément femelle, putains, demi-filles, bourgeoises, lesbiennes, et brasseuses d’affaires. Tout se mêle, se fond et se confond dans le lent tourbillon qui, de la piste, gagne les pourtours et les promenoirs.” Henry-Jacques. Moulin Rouge – 1925

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Le plus célèbre cabaret du monde ouvre ses portes

Le 6 octobre 1889, au pied de la Butte Montmartre, l’ambiance est à la fête : l’ouverture dans le Jardin de Paris d’un nouveau Music-Hall, le Moulin Rouge, ne passe pas inaperçue. Du côté de la Place Blanche, le public vient alors en foule découvrir ce lieu extravagant : une gigantesque piste de danse, des miroirs partout, une galerie où il est du dernier chic de s’encanailler, un jardin agrémenté d’un énorme éléphant et des promenades à dos d’âne pour amuser les dames. Une folle ambiance où le spectacle se déroule aussi bien sur scène que dans la salle : aristocrates et voyous à casquette se côtoient dans une joyeuse complicité, équipages des beaux quartiers et petites gens de Paris s’amusent ensemble dans l’euphorie la plus totale.

Les maîtres des lieux s’appellent Joseph Oller et Charles Zidler. Ils ont surnommé leur établissement Le premier Palais des Femmes et parient sur leur succès en proclamant, à qui veut l’entendre, que le Moulin Rouge deviendra le plus grandiose des temples de la musique et de la danse. Dès le premier jour, leurs espoirs sont comblés, les autres Music Hall n’ont qu’à bien se tenir !!!

“Vingt jambes en l’air. La pesanteur est envoyée par-dessus les moulins. En lames successives, les femmes s’écartèlent sur la piste, offrant leur sexe aux forces obscures de la terre. Quand elles rebondissent, c’est pour retrouver les ailes perdues. Ainsi, disputées entre deux éléments, les danseuses miment la lutte du corps et de l’esprit.” Henri-Jacques. Moulin Rouge – 1925

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